RÉSUMÉ DU SPECTACLE

Une expérience immersive et participative de théâtre « prêt-à-jouer »

Création janvier 2026, Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses.

Mange et deviens abolit les frontières entre acteurs et spectateurs pour une expérience collective et sensible qui mêle théâtre et cuisine. Des spectateurs, équipés de smartphones, deviennent le chœur vivant de cette histoire à jouer et déguster ensemble.

Le PITCH

Stéphanie, la Grenobloise, et Giovanni, le Yucatèque, se rencontrent pour la première fois à l’enterrement de leur père. Chacun se croyait enfant unique ; ils se découvrent demi-frère et demie-sœur.

Entre la France et le Mexique, ils partent à la recherche de leur histoire cachée, évoquant leurs souvenirs et les recettes consignées dans le cahier de leur père voyageur, seul héritage laissé derrière lui.

Mange et deviens mêle mots, gestes et goûts dans un rituel théâtral où l’on goûte, partage et rejoue les saveurs de la mémoire.

 

COPRODUCTION

Théâtre des Sources (Fontenay-aux-Roses); Spektrum (Rumelange).

 

CYCLE ADOLESCENCE DE L’ART

Après les Imposteurs (2018) qui traite du théâtre, et Quatre mains (2024) qui traite de l’éducation à la musique classique, Mange et deviens traitera de la cuisine et de la jeunesse et constituera le troisième opus du cycle L’Adolescence de l’Art, co-signé par l’auteur Alexandre Koutchevsky et le metteur-en-scène Jean Boillot avec deux interprètes, pour une centaine de spectateurs à partir de 13 ans (4ème ou 3ème).

Mélangeant des éléments fictionnels et biographiques des interprètes, les spectacles du cycle Adolescence de l’Art traitent de la jeunesse, de l’épreuve de la liberté, de la pensée de sa vie, des choix ou non-choix qui construisent l’adulte. Plus particulièrement, ils évoquent le monde des émotions qui nous débordent : comment elles nous laissent souvent étrangers à nous-mêmes. Et comment parfois elles trouvent dans l’art un espace pour s’exprimer, se structurer, pour être au monde.
Ce sont des spectacles légers adressés au tout-public et aux adolescents, pour les théâtres, pour la décentralisation, pour les classes.

 

POINTS DE DEPART 

Pour Mange et deviens, nous avons réuni Stéphanie Schwartzbrod et Giovanni Ortega, deux acteurs qui ont chacun leurs histoires de cuisine.
Stéphanie a grandi à Grenoble au côté d’une mère taiseuse qui transmettait son attachement à ses enfants par les plats qu’elle leur préparait. Giovanni a grandi à Merida au Mexique, entre une mère trop occupée pour cuisiner, un père qui lui apprit à ouvrir une boite de conserve, et une grand-mère qui cuisinait dans la terre le pib pollo pour les vivants et les morts.
L’une a interviewé l’autre en France où il vit maintenant, dans un livre magnifique intitulé La cuisine de la consolation, chez Actes Sud.

« Ce que tu manges, tu le deviens. »
Avec ces deux-là, nous nous intéresserons à la cuisine de l’adolescence, d’ici et d’ailleurs, la place qu’elle occupe hier et aujourd’hui pour cet âge, entre enfance et adulte.

Les histoires de cuisine sont des histoires de transmission : recette reçue de la mère ou de la grand-mère, plus rarement du père. On les transmet comme on transmet des histoires, par oral. Ou bien par écrit, dans un carnet qu’on offre avant le départ de la maison vers la grande ville ou vers le pays lointain ; pour ne pas oublier, pour savoir se préparer un petit plat-réconfort, exilé de sa maison, de son adolescence, de son pays ; ou bien pour cuisiner pour quelqu’un d’autre et dire quelque chose de soi.

Aujourd’hui, le numérique a éclipsé les carnets de cuisine par les réseaux sociaux, les podcasts… C’est une transmission moins intime, coupant une partie des liens qui relient au passé familial, mais ouvrant sur le monde et la cuisine de l’Autre.

Quelle place occupe aujourd’hui la cuisine chez les jeunes ? De quoi la cuisine est-elle porteuse pour eux et pour nous ?
C’est ce que nous envisageons de chercher dans cette nouvelle proposition : un récit théâtral et culinaire, un spectacle interactif aussi où nous inviterons des spectateurs à participer en cuisinant et dégustant, et en jouant de petits rôles dans notre histoire grâce à leur téléphone portable…

 

EXTRAIT DE TEXTE

– Stéphanie : Dans le silence du cimetière, en ce jour d’été, je regardais le cercueil de mon père descendre dans la tombe, il était midi passé, j’avais faim. Mon ventre s’est mis à gargouiller. Dans un réflexe absurde, j’ai contracté mes abdominaux comme si les muscles de mon ventre avaient pu étouffer ces petits bruits de tuyauterie. Mais il n’en a rien été, et tandis que le rouge de la honte envahissait mes joues et mon front, n’osant lever les yeux vers l’assistance, j’ai fixé intensément le bois clair du cercueil de mon père, qui maintenant reposait au fond du trou, en priant pour que cessent mes gargouillis. Je n’ai relevé les yeux que pour saluer les personnes qui à présent défilaient devant moi pour m’adresser leurs condoléances. Dernier
dans la file, il est arrivé face à moi.

– Giovanni : Bonjour.

– Stéphanie : Bonjour.

– Giovanni : Vous avez faim ?

– Stéphanie : Pardon ?

– Giovanni : J’étais derrière vous, j’ai entendu votre ventre.

– Stéphanie : Ah… euh oui, je me suis levée très tôt et

– Giovanni : je comprends, moi aussi j’ai un peu faim, je m’appelle Giovanni. Vous êtes une proche parente du défunt ?

– Stéphanie : Stéphanie, je suis sa fille. Sa fille unique. (Temps) Monsieur, ça va ?

– Giovanni : Vous êtes la fille d’Hector ?

– Stéphanie : Eh bien oui, qu’y a t-il ?

– Giovanni : Je suis son fils.

– Stéphanie : Pardon ?

– Giovanni : Le fils du mort. Comme vous je me suis cru unique.

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Stéphanie : Quand j’étais petite, ma mère avait toujours peur que je fasse une fausse route, que j’avale mon lait, ma purée, et plus tard mes biscuits, de travers. Elle me regardait attentivement ingurgiter la nourriture qu’elle m’avait préparée, sans doute éprouvait-elle une forme de contentement, une satisfaction à me nourrir, à me voir nourri, c’est-à-dire à voir entrer en moi ce qui me permettait de continuer à vivre. Amour était sans doute l’autre nom qu’on aurait pu donner à ce mélange d’attention et de satisfaction, mais à l’époque je ne connaissais pas ce mot.

Si je faisais une fausse route, que la nourriture au fond de ma gorge partait par le mauvais tuyau, non seulement je toussais violemment en devenant toute rouge, mais imaginant immédiatement que je risquais de  mourir, ma mère s’affolait, criait, m’empoignait, jusqu’à ce que je recrache la méchante petite bouchée et reprenne, avec force cris et pleurs, ma respiration. La nourriture qui devait me faire vivre, en empruntant la mauvaise direction avait manqué me tuer. Que la vie ou la mort se jouent à une déviation d’un ou deux centimètres dans ce petit coin sombre au fond de ma gorge, c’était, à y songer, suffisamment inquiétant pour qu’entre mes six et huit ans environ, à chaque repas, à chaque bouchée, au moment d’avaler, une angoisse m’étreigne, qui, m’empêchant ainsi de déglutir, pouvait faire durer les repas une éternité, ce qui avait le don d’exaspérer ma mère, particulièrement les matins d’école.

Curieusement, quand mon père était là et qu’il avait préparé à manger – ce qui était presque toujours le cas quand il était là – cette angoisse s’évaporait et je mangeais sans peur, sans même me rendre compte que la nourriture passait tranquillement, sans crier gare, dans le bon tuyau. Encore plus curieusement, ma mère, qui avait forcément dû noter cette différence, ne m’en avait jamais parlé. Je me dis aujourd’hui qu’elle devait ressentir cela comme une grande injustice : elle était là, chaque jour depuis ma naissance, à me nourrir du mieux qu’elle pouvait, avec cette peur continue que je m’étouffe, et quand mon père arrivait, tout allait pour le mieux au fond de ma gorge. Et, summum de l’injustice, je n’en appréciais que plus les plats préparés par mon père alors que ceux que préparaient ma mère n’avaient rien à leur envier. Seulement, avec ma mère les repas étaient quotidiens, et quand mon père était là, ils devenaient exceptionnels.